Quel sera l’impact de la guerre en Ukraine sur nos économies insulaires ? Voilà une question qui préoccupe les décideurs politiques et économiques de la zone. Dans cet entretien, le Pr. Vêlayoudom Marimoutou, Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) et économiste de formation, nous partage son analyse des répercussions de ce conflit sur notre région et met en perspective les enjeux auxquels nous devons répondre.
Pour nos territoires, les échanges commerciaux avec la Russie et l’Ukraine sont d’un volume limité mais ils peuvent être stratégiques (importations alimentaires, notamment céréalières). La perturbation des chaînes d’approvisionnement due au conflit ou aux sanctions pourrait entraîner des difficultés d’approvisionnement. Certains territoires (Seychelles, Maurice, …) devraient être affectés par la baisse des recettes du tourisme venant de Russie et d’Ukraine.
La guerre en Ukraine est un nouveau choc qui s’ajoute aux contrecoups de la pandémie. C’est un frein à la reprise. L’impact de la guerre en Ukraine confirme la pertinence et la valeur ajoutée des circuits régionaux d’échanges, de commerce, de production, ce qu’avait déjà montré la pandémie de Covid-19.
Globalement, les réponses sont à bâtir au niveau national en mobilisant les acteurs économiques et en soutenant la recherche de fournisseurs plus compétitifs et de nouveaux marchés porteurs. Les États de la région ont ici tous intérêt à coopérer davantage sur les plans économique et commercial, bilatéral et multilatéral. On peut effectivement penser à une stratégie régionale d’atténuation plutôt que de riposte. Mais cette stratégie doit échapper à la conjoncture et s’imposer comme un élément structurel des politiques économiques nationales : la régionalisation, par le raffermissement des liens économiques et commerciaux, les complémentarités des économies, leurs avantages comparatifs, est sans doute l’une des réponses à apporter.
La COI intervient à la demande des États, selon la feuille de route qui lui est donnée et les moyens qu’elle peut mobiliser auprès des partenaires. La COI apporte essentiellement des soutiens qui s’inscrivent sur le temps long et non sur le très court-terme d’une période difficile telle que celle-ci.
C’est dans ce sens que nous engageons les parties prenantes nationales et régionales sur un ensemble de sujets. La connectivité régionale, aérienne, maritime et numérique, est un enjeu structurant. Sur le numérique, des résultats sont atteints, notamment avec la mise en opération du câble METISS. Sur le plan maritime, la COI, avec le soutien du Japon, rassemble les acteurs de la région, dont Cap Business océan Indien, l’Association des ports des îles de l’océan Indien et l’Association de gestion des ports d’Afrique australe et orientale pour identifier les moyens d’améliorer la compétitivité du transport maritime. Je note aussi avec satisfaction que l’Association des exportateurs mauriciens pose la question d’un système régional de cabotage maritime.
Il y a aussi l’enjeu de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Le potentiel de production existe, dans chacune des îles. C’est aussi un potentiel d’échanges de denrées alimentaires, de transformation de produits agroalimentaires et de redécouverte de production sinon oubliée au moins négligée. Une stratégie régionale est une chose mais il faudrait qu’elle soit pleinement appropriée par les États et que les conditions de sa mise en œuvre soient assurées : réglementation, coûts compétitifs, partenariats public-privé…
Une majorité des économies est fragilisée par la hausse des cours des hydrocarbures et des matières premières agricoles. Depuis le début du conflit, le cours du baril de Brent a dépassé la barre de 100 USD. Par ailleurs, le conflit accentue la tendance à la hausse du cours du blé observée depuis mi-2021 : la hausse entre début janvier 2022 et le 11 mars atteint 40%. La hausse conjuguée des cours des hydrocarbures et des céréales pourrait fragiliser nos économies par plusieurs canaux. D’abord, l’impact inflationniste est plus fort que dans les pays développés car les carburants et l’alimentation pèsent lourd dans le panier de consommation moyen. La hausse des prix mondiaux des matières premières affectera fortement le pouvoir d’achat des populations ainsi que les coûts de production locaux.
Ensuite, la pression exercée sur les prix laissera moins de marge de manœuvre aux banques centrales pour mener une politique monétaire souple et la pression pour augmenter les taux directeurs devrait s’intensifier alors que, jusqu’à présent, la nature fragile de la reprise économique et la faiblesse des pressions de demande sur les prix ont contribué à un resserrement modéré des politiques monétaires. De plus, des taux d’intérêt plus élevée dans les économies développées se diffusent dans les pays en développement car les banques centrales de ces pays préservent des différentiels de taux d’intérêt positifs pour attirer les entrées de portefeuille, notamment dans le marché obligataire. On peut craindre rapidement une récession venant d’Europe.
Des perspectives de croissance plus faibles pour les pays non producteurs d’hydrocarbures conjuguées à des taux d’intérêt plus élevées exerceraient une pression importante sur les finances publiques, en augmentant les coûts d’emprunt internes et externes. Parallèlement, les subventions sur les carburants et les céréales sont présentes dans la majorité des pays, avec un coût déjà élevé qui s’alourdira, dans un contexte de dégradation des finances publiques liée à la crise Covid-19.
L’impact direct sur le pouvoir d’achat des populations ainsi que les contraintes budgétaires accrues des États pourraient être source de tensions sociales importantes. La dégradation induite des finances publiques pourrait en effet freiner les investissements publics et les dépenses sociales dans un contexte d’endettement élevé de nombreux États.
Tous les secteurs qui dépendent de l’importation des matières premières, comme l’agroalimentaire, ou de produits finis comme la construction. Le tourisme aussi en pâtira à nouveau d’autant que nos principaux marchés sont en Europe. Le coût du transport aérien pourrait rendre nos destinations moins attractives à moins qu’on opte pour une approche commune pour gagner des points de compétitivité. C’est le produit Indianocéanie qui pourrait être promu plutôt que des destinations concurrentes pourtant complémentaires. C’est tout l’objet de l’Association des îles Vanille. C’était aussi l’ambition de l’Alliance Vanille des transporteurs aériens lancée en 2016 sous l’égide de la COI. Mais la logique qui prévaut est celle de la concurrence plutôt que celle des synergies et des partenariats…
Surtout, il faut bien voir que nos îles sont trop vulnérables aux chocs exogènes si bien que la plupart des chaînes de valeur sera affectée.
Les entreprises créent des richesses, de l’emploi. Ils sont le cheval fort et volontaire qui tire la charrette, disait Churchill. Une coopération plus poussée entre les acteurs économiques de la région est nécessaire pour créer des chaînes de valeur régionale qui pourront mieux tenir face aux chocs externes. Il y a l’opportunité de créer de la valeur ajoutée au niveau régional.
Et puis la résilience est aussi sujette à un dialogue public-privé renforcé et à des partenariats qui innovent. C’est tout l’objet de notre partenariat avec Cap Business océan Indien qui est en mesure de jouer un rôle important dans la création d’un espace régional d’opportunités, d’échanges, de synergies et de croissance. Je plaide aussi pour que le secteur privé investisse, aux côtés et en complémentarité des Etats, dans la formation professionnelle et technique. Notre première richesse, ce sont nos ressources humaines. Les projections démographiques indiquent que 9 millions de jeunes intègreront le marché du travail régional dans seulement dix ans ! C’est un défi considérable autant qu’une opportunité. Il nous faut former pour disposer des compétences nécessaires à la croissance, à l’innovation, à la résilience. La formation professionnelle est un investissement gagnant.
Retrouvez une version anglaise de l’interview.